Photo-Benjamin Tanguy : « Nous, nous voulons faire un festival, nous voulons que ce festival ait lieu et je pense que tous les acteurs du secteur, dont les tourneurs, partagent cette envie. Moi-même, j’ai envie d’y croire ».

A moins de cinq mois de l’ouverture du 40° Jazz à Vienne, Benjamin Tanguy, directeur artistique du Festival, revient sur le paradoxe de la situation actuelle : « nous avons besoin de visibilité et cela le plus rapidement possible, sachant que nous sommes capables de nous adapter à n’importe quelle situation»

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A moins de cinq mois de l’ouverture de la 40° édition de Jazz à Vienne, que penser des dernières déclarations de Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, à propos des festivals de l’été ?

Benjamin Tanguy : La réunion que vous évoquez faisait suite à une prise de parole de Ben Bardaud, qui est à la tête du festival Hellfest, le plus gros festival de musique, que ce soit en budget ou en retombées. C’est une véritable référence, c’est le festival le plus cher de France mais également celui qui remplit le plus rapidement. Un festival complet avec un public national et international et de grande qualité avec très peu de subventionnement (même pas 0,1% de subvention). Ben Bardaud n’a pas peur de dire les choses quand ça ne va pas. Ainsi, l’an dernier, il a été très en vue en raison du problème posé par les assurances qui ne voulaient pas se positionner sur l’annulation des festivals.

Concernant le problème des festivals, les deux syndicats, le SMA (Syndicat des Musiques Actuelles) et le Prodiss (Syndicat national des Producteurs, Diffuseurs, Festivals et Salles de spectacle musical et de variétés) travaillent avec les ministères confirmés pour essayer d’avoir une vision pour les festivals.

Suite à cela, la ministre a accepté de recevoir les festivals et leurs responsables. Pour notre part, nous sommes représentés par le Prodiss qui parle au nom de tous les festivals et nous sommes pleinement au courant de toutes les discussions et donc de cette nouvelle réunion prévue le 15 février avec la ministre pour avancer sur les propositions qui ont été faites. J’ajoute à propos de déclarations plus récentes de Madame Bachelot, qu’au-delà des mots, nous avons surtout besoin aujourd’hui de décisions.

Benjamin Tanguy : « nous sommes capables de nous adapter à n’importe quelle situation »

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Pour l’instant, ces propositions demeurent vagues. Qu’en retenez-vous ?

D’après tous les retours reçus, la ministre est surtout à l’écoute et a bien conscience qu’il faut adapter le protocole à la dimension des festivals. C’est une bonne nouvelle et j’ajouterai que ça nous va bien. Il y a une réflexion en cours avec la ministre de la Culture pour rouvrir prochainement les musées. Certes, nos protocoles sanitaires ne sont pas les mêmes mais nous sommes capables de nous adapter à n’importe quelle condition. Bien entendu, nous savons que ce ne sera pas une édition normale, que ce sera forcément différend de l’édition 2019. Ce que nous souhaitons désormais, c’est que les représentants de l’Etat et de la DRAC valident nos protocoles.

Entre l’évolution de la pandémie, incertaine, les vaccinations, en hausse, et cette date butoir au-delà de laquelle vous ne pourrez pas raisonnablement organiser cette 40ème édition, de quelles marges de manœuvre disposez-vous ?

Chaque organisateur de festival avance avec sa propre organisation et ses propres scénarios et sur ce qu’il sera possible de faire en fonction des décisions prises. Je me souviens de l’an dernier : nous avions 7 scénarios possibles, aujourd’hui nous sommes sur 2 ou 3. Nous avons besoin de visibilité et cela le plus rapidement possible. Là, nous réfléchissons à de multiples possibilités, dont celle de baisser la jauge. Mais pour l’heure, nous n’avons rien arrêté. Que diront les services de santé de l’Etat ? Que pourrons-nous faire l’été prochain ? Qu’autorisera-t-on ? Configuration debout ? Assise ? Nous avons besoin de savoir ce qui sera décidé.

Mais croyez-vous qu’une configuration « debout », ce qui est souvent le cas lors des grands concerts, n’est pas déjà condamnée au vu de la propagation du virus et de ses variants ?

Ça fait partie des scénarios que nous avons intégrés et d’ailleurs nombre de mes confrères refléchissent actuellement à du « tout assis ». Notre avantage, c’est ce lieu du théâtre antique qui peut accueillir du public dans plusieurs configurations, assis/debout, tout assis…Mais nous ne savons pas puisque la ministre nous dit ne rien exclure à ce stade.

Dans un tel contexte, où en est aujourd’hui la programmation de Jazz à Vienne 2021, cette fameuse édition 40ème anniversaire, reportée l’an dernier ?

Nous avons déjà annoncé 4 soirées sur les 16 : notre programmation est bouclée à 90% et comprend plusieurs affiches attendues l’an dernier et qui avaient dû être annulées. Pour les musiciens américains, les agents ne savent pas comment s’organiseront les tournées. Certains n’ont pas tourné depuis l’été 2019. Il y a pour eux comme pour nous une nécessité de retrouver le public et, pour eux, celle de repartir en tournée. Notre programme est fait, comme je vous le disais, mais on attend. C’est là où c’est compliqué et, que dire de plus, sinon qu’il faut être réellement réactif et proactif.

Selon les scénarios imposés, par exemple « tout assis », pourriez-vous maintenir l’affiche d’un Jamie Cullum ?

On peut tout imaginer, une configuration assise ou debout.

Mais si une configuration vous amène à limiter la jauge à 4 000 spectateurs, pourrez-vous maintenir le spectacle ?

Ce seront des discussions que nous aurons avec les artistes et leurs représentants et j’imagine qu’au vu de cette situation exceptionnelle, tout le monde sera bienveillant. Nous, nous voulons faire un festival, nous voulons que ce festival ait lieu et je pense que tous les acteurs du secteur, dont les tourneurs, partagent cette envie. Moi-même, j’ai envie d’y croire.

« Comme si on était dans les starting-blocks et que ces starting-blocks étaient bloqués »

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Qu’en est-il du budget ?

En 2020, comme pour beaucoup d’autres festivals, les pouvoirs publics ont été là. Il y a eu cette activité partielle de mars à septembre et après, les pouvoirs publics, Région, Département et Agglomération, se sont mis d’accord pour soutenir le festival, pour qu’on reparte dans de bonnes conditions en 2021. Il ne faut pas oublier que Jazz à Vienne s’autofinance à 80% et que les pouvoirs publics sont là pour nous épauler en cas de difficultés. Tout laisse à penser qu’ils ont envie de supporter le festival en 2021. Les élus de notre conseil d’administration et nos partenaires sont présents et nous soutiennent.

A 5 mois de cette 40ème édition, est-ce pour vous une période charnière ?

C’est une période très particulière. Comme si on était dans les starting-blocks et que ces starting-blocks étaient bloqués. C’est frustrant et paradoxal.

Concrètement, comment ça se passe ?

Vous vous en souvenez : nous avions annoncé pour l’édition 2020, différents artistes et tout ça a été annulé. Du coup, on a prévu d’annoncer le programme estival du théâtre antique fin mars. Mais, pour cela, nous voulons avoir enfin des éléments précis et pas une énième annonce de « revoyure ». A y bien regarder, on attend ça depuis avril de l’an dernier. C’est long. Et à un moment, il va falloir donner les éléments pour que le secteur culturel puisse s’adapter. Par le passé, on a su faire face à des crises économiques, à des crises terroristes. Et face à cela, nous n’avons cessé de remettre en question nos organisations. Qu’ajouter ? Il faut nous faire confiance et on prouvera qu’en effet, on sait faire. On est capable de s’adapter à n’importe quelle situation et on le doit à tous, public, artistes et à tous ceux qui s’impliquent dans le festival.

Que se passera-t-il si la situation vous impose une équation économique quasi impossible ?

Que dire ? Si, à un moment, les conditions sanitaires qui nous sont imposées font que nous ne pouvons pas accueillir le public, que tout devient impossible, c’est le festival lui-même qui ne fonctionne plus.

A rebours de cela, cette 40ème édition de Jazz à Vienne s’annonce comme la plus longue édition jamais organisée par le festival depuis sa naissance (en 1980) Pour conjurer le sort ?

C’est en effet la plus longue édition parce que ce sont les 40 ans de Jazz à Vienne. L’an dernier nous avons dû faire le deuil de cet anniversaire ô combien symbolique. Déjà l’an passé, on avait réuni beaucoup de projets particuliers, que ce soit au théâtre antique ou sur les différentes scènes du festival. Aujourd’hui, on a encore plein de projets de fond pour 2021-2022. Oui, nous voulons faire plein de choses…… Faut-il le rappeler, tout démarrera le 23 juin prochain avec Jamie Cullum et Anne Paceo.

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Interview réalisé par Jean-Claude Pennec